Le Blog de Pierre-Alain Goualch

 

>Recycling The Future (Disque d'emoi)
(Rca Victor 74321950062/Bmg). Yvinek (b, g, hbt, p, bruits, jouets, trains, avions, voitures, respiration…), Pierre-Alain Goualch (p, elp, prog, idées stimulantes…), Stéphane Guillaume (bcl, cl, ss, bugle, afl, esprit ouvert…), Eric Seva (ss), Olivier Ker Ourio (hca), Christian Lechevretel (tp), Mederic Bourgue (cello), Wilfried Brana (prog) et, entre autres, Valentin Enesco (cello), Wayne Dolphy (voc), Chis Dan (perc), Kantha Bhajan (sarod)…
« Plus tard, et plus simplement, j’ai voulu, j’ai aimé faire écouter mes écoutes. Comme si je voulais leur apposer une marque durable qui les dirait miennes et qui les rendrait, sinon pérennes, du moins transmissibles à d’autres. C’est vrai, j’aimerais chaque fois signer mon écoute. (…) C’est en tant qu’auditeur que j’aimerais signer mon écoute : j’aimerais pointer, identifier et faire partager tel événement sonore que personne d’autre que moi, j’en suis sûr, n’a jamais entendu comme je l’ai fait. Aucun doute là-dessus. Et je suis même convaincu qu’il n’y a de l’écoute musicale qu’à la mesure de ce désir et de cette conviction ; autrement dit, que l’écoute – et non l’audition ou la perception – commence avec ce désir légitime d’être signée et adressée. A d’autres. » Après avoir écouté plusieurs fois d’affilée le premier disque d’Yvinek – alias Daniel Yvinec, celui-là même qui, outre ses activités musiciennes sans frontières qui ne se soucient guère du qu’en dira-t-on, signe dans ces colonnes chroniques et interviews –, ces quelques lignes extraites du J’écoute de Peter Szendy (Paradoxe/Les éditions de Minuit, 2001) me sont revenues à l’esprit. Vous aussi, sans doute, aurez envie de partager avec « d’autres » les moments de musique inouïe – jazz ? pas jazz ? électro ? acoustique ? barrières tombées, vannes ouvertes, sons dans tous les sens, désir musique en éveil doux – qui peuplent ce disque événement dont on n’a pas fini de parler mais… chut, écoutons.

Juliette Barnel

 

Personne ou presque n’a retenu jusqu’ici le nom de Daniel Yvinek, pourtant celui-ci figure à coup sûr en plusieurs endroits stratégiques dans la discothèque de l’homme de goût. En faire l’inventaire ici prendrait trop de place, alors citons parmi les musiciens au service desquels ce bassiste s’est produit les notables Salif Keita, Hector Zazou, Tania Maria, David Byrne, Riyuichi Sakamoto, John Cale, Suzanne Vega ou David Sylvian. Pour un petit Français venu à la basse par profil bas, le CV est plutôt flatteur. “Je suis plutôt un coureur de fond qu’un sprinter”, dit aujourd’hui Yvinek, pour expliquer l’avènement si tardif, à 39 ans, d’un premier album portant son nom.

Avant d’être un disque de musicien, Recycling the Future est d’abord un disque de mélomane boulimique : Les meilleurs disques, souvent, sont ceux qui naissent dans les cerveaux où s’entassent ainsi les milliers de pièces d’un puzzle musical auquel une seule manque pour donner un sens à toutes les autres.

Bâtie autour d’une conception singulière des architectures électroniques (apportée par le pianiste et grand praticien de l’informatique Pierre-Alain Goualch), dotée d’un éventail rythmique où l’air du temps n’a pas vraiment de prise, Recycling the Future constitue une somme remarquable et hautement recevable en soi. Délicatement chorégraphié à l’intérieur de paysages engourdis, qui prennent le temps d’étaler leurs perspectives et d’ourdir leurs reliefs, un impressionnant ballet d’instruments aux phrasés économes achève de rendre les lieux à la fois accueillants et sauvages, sans véritable balise mais sans indiscipline non plus. La musique d’Yvinek paraît en tout cas trouver son point de départ dans un grand tout fusionnel et anarchique – à la fois musical et extramusical – dont l’auteur, à rebrousse-poil des habitudes, aurait patiemment élagué le propos, ordonné le bouillonnement, apaisé les débordements, histoire d’y vendanger une substance nouvelle.

Un éminent écrivain, qui en connaît un sacré rayon quant aux brouillages de dimensions et aux anticipations atmosphériques, a apporté son auguste caution au projet. Rencontré grâce au père d’Yvinek, professeur d’anglais et traducteur, Ray Bradbury a ainsi défini l’album : "Billet de voyage à destination de galaxies inconnues, Recycling the Future ne ressemble à aucune musique que vous auriez déjà entendue." On ne saurait mieux dire.

Christophe Conte
02 oct. 2002

 

SEFRONIA

Si les musiques électroniques sont souvent associées à la danse pour se conformer à l¹air du temps et plaire à un public cultivant la branchitude, on sera surpris par la vision originale de Daniel Yvinec, dès la pochette "land art" de son premier album. Le projet musical du contrebassiste, qui a connu divers registres, de la variété facile de Francis Cabrel au soul funk de Maceo Parker, en passant par les expériences de Ryuichi Sakamoto ou John Cale, n¹incite pas à se trémousser. Il étire le temps à l¹infini, assemblant les filaments désagrégés d¹une mémoire perturbée. Et pour ce faire, il associe des complices aussi talentueux que Pierre Alain Goualch, grand manitou des claviers et expert en bidouillages en tout genre, Stéphane Guillaume et Eric Seva aux saxophones, Olivier Ker Ourio à l¹harmonica, dans un solo nostalgique sur "Things i thought I knew" qui constituerait le thème idéal d¹un film noir. Car Yvinec est un maboule d¹images et de sons, un voyageur immobile, en partance pour un ailleurs indécis, le monde floconneux des perceptions. Ces sonorités travaillées, des effets inquiétants d¹étrangeté installent un climat surréel : en écoutant par exemple "Invisible soundtrack" de 333 secondes, défilent des images à la "Eraserhead" comme dans le vieux film de David Lynch : toute une éternité, en musique d¹accompagnement d¹un cinéma imaginaire qui se projette dans notre tête. Riffs de guitare saturée, boucles enchaînées, trompette en écho, infrabasses, glissements vers un plaisir très progressif, cadence suggestive plutôt que rythmique forcenée ; hypnose, fantasmagorie, une électronique déjà recyclée pour notre plus grand bonheur, qui s¹unit à un jazz électrique. Onze plages de sons insolites mettent en scène ce long métrage, tourné dans les décors les plus divers avec des instruments très hétéroclites. Qu¹importe les bricolages, l¹album conserve en dépit de tout une unité, une dimension originale et poétique car l¹auteur concocte à partir de matériaux sans intérêt apparent, un magma très personnel.
(Sophie Chambon)

Sefronia n°62 Decembre 2002 - www.sefronia.com

 

Daniel Yvinec, bassiste de jazz et d'ailleurs (Tania Maria, Maceo Parker, Salif Keita, Cheb Mami…), auditeur compulsif de CD, a déjà apporté sa touche de musicien, de producteur ou de conseiller artistique à une foule d'univers qui signent son éclectisme : Suzanne Vega, Ryuichi Sakamoto, Dead Can Dance, John Cale… Il a aussi collaboré aux productions de Peter Gabriel et David Byrne. Avec ce disque il construit des paysages sonores autant que musicaux, nourris des bruits du monde, et magnifiés par quelques improvisations de jazzmen (Stéphane Guillaume, Olivier Ker Ourio, Pierre Alain Goualch…).
Et le contrebassiste recycle le futur en passant du piano à la guitare, sans oublier le hautbois et mille objets sonores… qu'il n'est pas nécessaire d'identifier. Ni totalement jazz, ni purement électro-samplé, c'est simplement du grand art sonore.

Zicline

Ouaouh ! Il n’y va pas de main morte pour son premier album ! Laissant de côté son prénom (Daniel), Yvinek nous sert un opus déroutant, intrépide et de toute évidence, sans concession.
Le bassiste hors norme aura mis du temps à se faire leader. Après des années passées aux services des autres comme musicien en studio ou sur scène (avec Hector Zazou, Suzanne Vega, Ruychi Sakamoto, Dead Can Dance, John Cale, Salif Keita, Cheb Mami, Maceo Parker, Dave Fiuczynski…) ou comme directeur artistique sur des productions de Peter Gabriel (Real World) ou David Byrne (Luaka Bop…), il se décide enfin à livrer son univers personnel.

Il nous surprend avec une musique étrange et convulsive, peuplée de bruitages, d’étendues calmes, de beats obscurs ou encore de riffs ravageurs. Et si sa musique se rapproche plus des univers de Brian Eno ou Laurie Anderson, le jazz n’y est pas pour autant absent. Les machines se mélangent savamment aux instruments acoustiques, Pierre Alain Goualch au piano et clavier, Stéphane Guillaume à la clarinette basse, au bugle et aux saxophones, l’étonnant Olivier Ker Ourio à l’harmonica ou encore Médéric Bourgue au violoncelle. Les morceaux s’étirent dans un univers futuriste et encore inconnu, aux confins du réel mais dans une démarche artistique visionnaire et maîtrisée.

Alors préparez-vous à changer de galaxie, l’inclassable est aux portes de vos maisons.
 

Chronicart.com

Curieux homme que cet Yvinek, breton d'à peine quarante ans connu sous son patronyme civil (Daniel Yvinec) par les lecteurs de Jazz Magazine où il signe régulièrement textes et entretiens, contrebassiste nomade aux expériences on ne peut plus variées (rien en commun à première vue entre des séances studio derrière Francis Cabrel et une tournée avec Salif Keita, des concerts avec Maceo Parker à la fin des 80's et des collaborations avec Ryuichi Sakamoto ou John Cale durant la décennie suivante) et, désormais, auteur d'un premier album à la croisée des chemins qu'on résumera, pour aller vite et cadrer grossièrement les choses, comme faisant partie de ce que l'on a entendu de plus convaincant à ce jour au rayon des musiques où se mêlent l'électronique et l'acoustique, le Mac et la Gibson, le sampler et les cordes. Recycling the future n'en manque ni des uns (le pianiste et bidouilleur Pierre-Alain Goualch s'est vu confier la gestion des écrans, claviers et quincailleries en tous genres), ni des autres (un orchestre à cordes est de la partie, magnifiquement intégré au bain de boucles et de sons qui forme la pâte du disque), et va même chercher beaucoup plus loin : un rapide coup d'oeil sur les crédits laissera constater le nombre et la diversité des intervenants (côté jazzmen hexagonaux, on mentionnera l'harmoniciste Olivier Ker Ourio et le saxophoniste Eric Seva) et, surtout, celle des instruments et objets à sons convoqués, exotiques (bendir, sarod, ney et autres) ou incongrus (en anglais : flower pots, toys and buzzes, cars and other vehicles).
On pourrait se croire sur des terres proches des cocasseries poétiques chères aux artistes, par exemple, mais on en est en réalité assez loin : l'univers d'Yvinek est volontiers mystique, empreint d'une étrangeté qui doit beaucoup à la dimension parfaitement originale et inouïe des atmosphères et des sons mis en scène dans les onze voyages auxquels il invite. Soupçon de strings'n'beat ici, langueur electro là, fragments de sons travaillés, découpés, torturés, transformés, solo d'harmonica puis de piano : les couleurs sont surréalistes, la production impeccable (à écouter sur une bonne chaîne hifi, dans un canapé profond et dans le noir), l'ambiance indéfinissable. Yvinek avoue une admiration de longue date pour Brian Eno et Jon Hassel : on rangera Recycling the future entre Music for airports, un Roxy Music au choix et quelques autres du même tonneau, pour le ressortir sitôt que se fera sentir le besoin de s'évader un peu.
Bernard Quiriny - Chronicart.com

La boutique du site

 

 

email - Commentaires, Questions etc...